COP28  : l’heure du bilan mondial

Les esprits commencent à s’échauffer. ONG, instituts économiques, experts scientifiques … chacun y va de ses intuitions, ses prévisions et ses mises en garde pour éviter que cette COP ne fasse un pas en arrière. Les attentes sont grandes, les enjeux immenses et les tensions crispantes. Décryptage à quelques jours de l’ouverture de la COP28 le 30 novembre 2023 prochain à Dubaï.

Crédit ONU

« Le contexte sera critique de par la pression des pays pétroliers et la crise actuelle du multilatéralisme, mise en évidence par la guerre à Gaza. » annonce d’entrée  de jeu Sébastien Treyer, directeur général de l’Iddri, Institut du développement durable et des relations internationales. Même si la reprise du dialogue depuis quelques mois entre les US et la Chine est de bon augure. 

Nouveau cycle de 5 ans

Chaque année, les circonstances sont difficiles mais cette fois-ci, il faudra passer outre car cette 28ème Conférence des Parties a une obligation de résultat. L’ONU doit en effet présenter le bilan mondial (Global Stocktake) des engagements des pays, et ce à la suite de l’Accord de Paris de 2015. Ce texte sera présenté à la fin de la COP, en propre ou intégré dans la décision de couverture finale, le 12 décembre. Chaque pays mettra ainsi à jour ses NDC (contributions déterminées au niveau national) pour les 5 prochaines années, afin de limiter à 1,5 degrés le réchauffement climatique par rapport à l’ère pré-industrielle (1750). Selon l’Iddri qui suit les coulisses des négociations de la Cop, depuis 2 ans, plus de 1000 documents ont circulé à ce sujet. Mais un premier rapport sur les NDC a été dévoilé le 14 novembre dernier par l’ONU : si toutes les politiques étatiques étaient réellement appliquées, la baisse des Gaz à effet de serre seraient en baisse de 2% en 2030 par rapport à 2029, contre un objectif de 43% préconisé par les scientifiques. Tout va trop lentement.

Lola Vallejo, directrice du programme climat à l’Iddri, reste confiance dans le cap de l’Accord de Paris : « L’Accord de Paris a marché car si les émissions de Gaz à effet de serre liées aux combustions fossiles sont toujours en progression, un plateau est à venir, ce qui n’était pas le cas en 2015. Il faut espérer que le pic soit atteint cette décennie. Mais il y a toujours un écart entre les engagements de neutralité des émetteurs et la réalité. » Selon les analyses du groupe de scientifiques indépendants Climate Central, les douze mois écoulés entre novembre 2022 et octobre 2023 ont été les plus chauds jamais enregistrés, et ont tout de même dépassé les températures pré-industrielles de 1,3 degrés. 

Sortie des énergies fossiles

L’autre attente de cette COP est l’engagement de la sortie des fossiles, réclamée depuis de nombreuses années. Déjà en 2022, 80 pays dont des pays producteurs comme les US, la  Norvège ou l’Inde étaient chef de file du mouvement. Certains misent cette année sur un engagement fort de l’Europe à ce sujet, qui lors de la COP27 avait réussi à renverser certaines négociations (notamment en faveur de la création d’un fonds Pertes et préjudices). Et ce même si l’Europe traverse ses propres difficultés : son Green deal et ses 575 lois pour attendre le neutralité carbone en 2050 sont malmenés, faute de financement suffisant (selon Caroline François-Marsal, responsable Europe du RAC, Réseau action climat, il manque 620 milliards d’euros/an jusque 2030 pour soutenir le plan). La COP28 devrait en tout cas proposer un ensemble complet de mesures en matière d’énergie pour appeler à l’arrêt immédiat de l’expansion des combustibles, tout en augmentant la production des énergies renouvelables propres et s’engager à la sobriété énergétique. 

Crédit ONU

Pertes et préjudices

La finance sera également au coeur des échanges, pour accélérer l’adaptation et l’atténuation des pays vulnérables. Il y aurait des gages de bonne foi pour atteindre enfin l’enveloppe des 100 milliards annuels promis depuis 2009. Pour le RAC, « la faiblesse des financements climat nuit gravement à la confiance entre les états », avec toujours le risque de voir ressurgir les tensions Nord-Sud comme l’année dernière. En matière du financement des Pertes et préjudices liés au réchauffement climatique, la COP27 avait été un succès à ce sujet, grâce à l’annonce d’un nouveau fonds pour y faire face. De nouveaux arrangements financiers pour remplir ce fonds doivent être trouvés durant cette COP, pour savoir qui va y contribuer et qui y aura accès. Ce fonds sera hébergé par la Banque mondiale mais aura sa propre gouvernance. Son conseil d’administration sera composé de 26 sièges dont 14 dédiés aux pays en voie de développement. Le réseau Santiago, créé lors de la COP25 pour évaluer ces Pertes et préjudices, devrait connaître cette année sa structure hôte. Mais petit pavé dans la mare : Climat Analytics, institut mondial de science et de politique climatique, relève que sur cette question des sources de financements du Fonds Pertes et préjudices, les 25 plus grandes sociétés pétrolières (privées et publiques) pourraient payer leur part liés aux dommages mondiaux générées par leurs émissions tout en restant profitables.

Crédit Anne Henry

Entre-aide entre pays

La COP est aussi un haut lieu de la coopération internationale. Des petits groupes de pays (JETP ou Partenariats de transition énergétique juste) se mobilisent pour aider certains comme l’Indonésie ou l’Afrique du Sud, à accélérer leur transformation écologique. Aujourd’hui, ces projets rencontrent des difficultés de mises en oeuvre. Le rendez-vous émirati pourra être l’occasion de tirer les leçons de ces premiers JETP. Et de nouvelles coalitions entre pays devraient être créées durant le rendez-vous mondial sur des niches sectorielles comme l’hydrogène, la santé, l’agriculture ou le système alimentaire.

Enfin, il est normalement attendu une avancée de la mise en place des marchés carbones article 6 de l’Accord de Paris, pour offrir de nouvelles sources de financements aux pays vulnérables dans le respect des droits humains. 

Y être ou pas ?

Nombreux sont ceux critiques sur l’organisation d’une COP dans un pays producteur de pétrole. La COP27 organisée en Egypte l’année dernière avait déjà pâti des blocages de l’administration égyptienne. Et cette année, beaucoup craignent un show du greenwashing. D’ailleurs, 250 entreprises françaises ont appelé au boycott du sommet chez le cinquième plus gros émetteur de CO2 de la planète (tribune du monde du 30/09/23). Mais pour le RAC, « les lobbyistes des entreprises fossiles continuent d’investir insidieusement les arcanes des négociations. Si se déplacer à Dubaï peut interroger, ne pas s’y rendre serait encore pire … Il s’agit de porter la voix des pays les plus vulnérables et relancer l’action climatique. » 

Et un tel évènement peut faire évoluer les mentalités locales. Sébastien Treyer a vu une évolution de la position du président émirati de la COP, président par ailleurs de la compagnie pétrolière publique,  le Sultan al-Jabert. « En début d’année, il misait tout sur la capture du CO2 pour continuer à utiliser le pétrole et gaz. Aujourd’hui, il considère que la réduction de la production de fossiles est essentielle et inévitable. On sent un changement de paradigme. Même si aucune date n’est donnée. » Et notons que cette COP a comme sous-présidence l’Espagne, donc indirectement l’Europe. Pour Thomas Pellerin-Carlin, directeur du programme Europe de l’Institut de l’économie pour le climat I4CE, « il va falloir faire en dix ans, ce que l’on a fait avec peine en trente ans. » Espérons que la COP28 ira dans le bon sens. 

Article réalisé pour le site des JNE.


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